Dire de Grangemouth qu'elle n'est pas la
ville la plus exitante du monde est un doux euphémisme. Située sur la
côte Est de l'Écosse, cette bourgade d'à peine vingt mille âmes n'est
connue que pour être l'un des ports les plus actifs d'Europe et pour
ces raffineries. Le genre d'endroit qui n'offre qu'une vie morne et
grise. Surtout à des adolescents qui tentent de vivre par procuration
le mouvement punk et suivent l'évolution d'une scène musicale en perpétuelle
mutation.
A la fin des années 70, Robin Guthrie n'a
même pas vingt ans. Mais il ne s'imagine pas rester à Grangemouth jusqu'à
la fin de ses jours. Il a un groupe, spécialisé dans les reprises des
Stooges, avant de rejoindre leur ami, un géant nomrné will Heggie, bassiste
au sein d'une autre formation.- Les deux compères finissent par fonder
leur propre projet qu'ils baptisent The Cocteau Twins, en l'honneur
du titre de leur morceau préféré d'un groupe qu'ils vont souvent voir
en concert, Simple Minds. Robin officie également en tant que Dj au
Nash, la discothèque locale, lors des "soirées punk". C'est là qu'un
beau soir de 1979, il repère une jeune fille qui ne cesse de danser.
Elizabeth Fraser fréquentait pourtant le lieu depuis près d'un an. Mais
il faudra que le jeune homme attende quelque temps avant que Liz ne
succombe à ses avances et qu'elle n'accepte de rejoindre le duo en tant
que chanteuse, après un premier essai infructueux.
Début des années 80, la Vague Punk est venue
mourir sur les rivages de l'industrie du disque. Pourtant, elle a le
temps d'engendrer des labels indépendants et une flopée de groupes.
Siouxsie & The Banshees - fondé par Siouxsie Sioux et Steve Severin,
membres du fameux Bromley Contingent, cette "armée" qui suivait partout
les Sex Pistols, The Cure, Bauhaus, Joy Division ou Public Image Limited
- le nouveau projet de John Lydon sont parmi les acteurs privilégiés
d'une scène inventive et percutante. Les CocteauTwins sont impressionnés
par ce bouillonnement. Mais ils travaillent. Et composent. Ils enregistrent
même une maquette. Deux maquettes, en fait. "Avec le recul, c'est vraiment
à mourir de rire . Nous n'avions pas pensé à dupliquer la cassette originale.
Alors, nous avons joué deux fois les chansons !" Ils font parvenir la
première à John Peel - Dj qui officie alors sur Radio 1 et fait la pluie
et le beau temps quant au succès des formations indépendantes - et la
seconde au dénommé ivo Watts-Russel, qui a fondé en 1980 la structure
4AD, chère au coeur du trio écossais pour abriter un groupe et sauvage,
émigré à Londres, The Birthday Party, dont le leader a pour nom Nick
cave. Les choix ne pouvaient s'avérer plus judicieux. Le premier contacte
immédiatement le trio pour lui faire enregistrer l'une de ses fameuses
sessions . Le second, dont la curiosité a été titillée par ces deux
morceaux, veut en savoir plus. " Je me souviens de manière encore très.frappante
de ma première écoute. je roulais vers Cambridge... J'avais emmené tout
un stock de démos dont celle de ce group, Cocteau. Twins, que j'ai mise
par hasard dans mon auto-radio. Instantanément, quelque chose s'est
passé. C'était un enregistrement approximatif mais terriblement puissant.
Le plus drôle, c'est que l'on entendait à peine la voix d'Élisabeth.
La musique a suffi pour que je les contacte dès mon retour. Ils sont
venus d'Écosse et nous sommes allés immédiatement en studio. J'avais
à l'esprit de sortir un single, Speak No Evil. Quelle surprise quand
Liz s'est mise à chanter ! Une révélation. La puissance du groupe combinée
à cette voix... je n'en revenais pas. Du coup, j'ai demandé à Robin
s'ils avaient assez de chansons pour un album. Il m'a répondu oui, ce
qui devait être un mensonge. Mais ils sont revenus quelques semaine
tard avec Garlands ". L'album sort en juin 1982. À vrai dire, il ne
déchaîne pas les louanges de la presse écrite, mais, grâce au soutien
inconditionnel de Peel. le disque se fait une place au soleil dans les
charts indépendants. Il faut dire qu'il est bien dans l'air du temps.
Soutenus par une basse nébuleuse et profonde qu'accompagne une boîte
à rythmes répétitive à souhait , bercés par des guitares grinçantes
noyées sous une pléthore d'effets et portés par une voix intrigante
déjà captivante, les huit morceaux créent un univers opaque, mystérieux
et quelque peu claustrophobe. Désignés comme les élèves appliqué de
Siouxsie The Banshees une étiquette dont le groupe aura du mal à se
défaire - les Cocteau Twins accompagnent sur les routes deux formations
de 4AD, leurs héros The Birthday Party et Modern English, pour des tournées
qui ne font qu'accroître le nombre de leurs fans. Un phénomène que vient
d'entériner, en fin d'année, la sortie d'un maxi constitué de trois
inédits, Lullabies : sur Feathers-Oar-Blades, le rythme s'est accéléré,
les guitares aiguisées. La voix a pris de l'assurance, affiche plus
de personnalité alors que, déjà difficilement compréhensibles sur Garlands,
les textes sont devenus plus énigmatiques, un élément du mystère qui
enveloppera les Cocteau Twins tout au long de leur existence. Quelques
mois à peine après ses premiers pas sur le devant de la scène, le groupe
jouit d'une aura impressionnante. L'album et le single sont tout deux
classés à la deuxième place des charts indépendants. Ivo sait alors
qu'il faut battre le fer tant qu'il est encore chaud et demande à ses
protégés - sur lesquels il a misé de grands espoirs quant au développement
de sa structure - de retourner en studio.