The Birthday Party, et Modern English,
pour des tournées qui ne font qu'accroître le nombre
de leurs fans. Un phénomène que vient entériner,
en fin d'année, la sortie d'un maxi constitué de trois
inédits, Lullabies : sur Feathers-Oar-Blades, le rythme s'est
accéléré, les guitares, aiguisées. La
voix a pris plus d'assurance, affiche plus de personnalité
alors que, déjà difficilement compréhensibles
sur Garlands, les textes sont devenus plus énigmatiques, un
élément clé (le mystère qui enveloppera
les Cocteau Twins tout au long de leur existence. Quelques mois à
peine après ses premiers pas sur le devant de la scène,
le groupe jouit d'une aura impressionnante. L'album et le single se
sont tous deux classés à la deuxième place des
charts indépendants. Ivo sait alors qu'il faut battre le fer
tant qu'il est encore chaud et demande à ses protégés
- sur lesquels il a misé de grands espoirs quant au développement
de sa structure - de retourner rapidement en studio. "En fait,
on peut rapprocher cet épisode de ce qui a pu se passer à
la fin des Cocteau Twins explique aujourd'hui Guthrie. "Ce disque
est né de la volonté du label. Nous n'avons pas de morceaux
terminés, mais on nous a tout de même poussés
à enregistrer. On nous a forcé la main et ce n'est jamais
très bon". Guthrie n'a jamais eu à coeur de défendre
Peppermint Pig réalisé en mars 1983. Dès la sortie
du maxi, il le renie dans les interviews. Produit par Alan Rankine
? Écossais lui aussi et surtout membre du groupe The Associates,
le morceau phare de ce Ep trois titres dévoile avec son tempo
dansant le groupe sous un jour plus "léger", plus
accessible. Malgré les critiques peu amènes lancées
par ses géniteurs, le résultat ne se fait d'ailleurs
pas attendre : le disque ne se voit barré de la première
place des charts indépendants que par le fameux Blue Monday
de New Order. Le trio se retrouve alors sur la route, pour assurer
la première partie d'Orchestral Manoeuvres In The Dark, le
temps de... cinquante-deux dates à travers l'Europe. Ce marathon
va tourner au désastre. Peu avant la fin de la tournée,
Will Heggie jette l'éponge. Pour des raisons qui restent obscures,
aujourd'hui encore. "De son plein gré", selon le
communiqué que publie le label à l'époque. "Viré
par Liz Fraser" qui voyait d'un mauvais oeil la complicité
entre les deux amis d'enfance, affirme le principal intéressé.
Désabusé, il regagne Grangemouth où il rejoint
quelque temps plus tard un nouveau groupe, Lowlife, formé par
Craig Lorenston et Grant McDowelI et au son proche des... Cocteau
Twins. La magie en moins.
Désormais, Liz et Robin sont un
couple dans la vie comme à la scène. Ils n'hésitent
pas un seul instant et enregistrent seuls le successeur pour le moins
attendu de Garlands. "C'est avec Head Over Heels que je suis
devenu un producteur", se souvient Guthrie. "Alors que Liz
écrivait ses paroles, je travaillais sur les sons, les textures,
tout en fumant continuellement de la dope". Réalisé
lors de l'été 83, un mois avant son compagnon de route,
le Ep Sunburst And Snowblind, l'album confirme que Peppermint Pig
était loin d'être la voie que cherchaient à suivre
les CocteauTwins : les premières mesures de la boîte
à rythmes qui sert d'intro à "When Mama Was Moth"
évoquent les battements d'un coeur au ralenti. Guthrie a enrichi
ses sons de guitare, Fraser se fait plus aventureuse dans ses mélodies.
Avec des incursions vers le jazz, tout en gardant ses racines new
wave l'ensemble est plus luxuriant. Personnel, également, même
si quelques rabat-joies soulignent une nouvelle fois une certaine
filiation avec les Banshees. Derrière la brume, l'identité
du groupe commence à se dessiner. Les fondements de sa cathédrale
sonore viennent d'être posés. Et la journaliste Helen
Fitzgerald semble même avoir percé une partie du mystère
: "Leur vulnérabilité est leur force. Leur magie
est un fluide qui jamais ne sera expliqué". Avec, déjà,
un public fidèle entièrement acquis à sa cause,
le groupe atteint même la première place des charts.
Mais les Cocteau Twins ne doivent cette popularité grandissante
qu'à leur seul talent... Ivo a enfin mis sur pied un projet,
qu'il avait en tête depuis longtemps. "En fait, j'avais
cette idée dès les premiers jours de l'existence du
label". Il a imaginé un collectif aux contours flous,
réunissant plusieurs musiciens - de son label ou extérieurs
- sous la bannière This Mortal Coil, dont il serait à
la fois le cerveau et le producteur exécutif. La première
réalisation est un 45 tours, une reprise, Song to the Siren,
interprétée magistralement par Liz accompagnée
de... Robin. "Starsailor de Tim Buckley (ndlr :Père de
]eff au destin tout aussi tragique que son fils...) est le disque
qui met le plus mal à l'aise que je connaisse. foi toujours
eu beaucoup de mal à l'écouter. Mais à la ,fin
de la Première face, il y a cette magnifique chanson, Song
To The Siren. II n'y a probablement pas un seul autre morceau qui
m'émeuve autant à chaque écoute". Un jugement
que les radios, britanniques, mais aussi européennes, vont
vite partager, ne cessant de programmer cette version en tout point
magnifique. Mais le couple s'accomode mal de cette état de
fait, This Mortal Coil éclipsant quelque peu les succès
de Head Over Heels et Sunburst And Snowblind. `J'en étais malade
de voir que ce titre était joué sur des radias qui n'avaient
jamais diffusé Cocteau Twins La seule manière de passer
sur les ondes était donc de jouer le morceau d'un autre sous
un nom différent. avouait Robin Guthrie au magazine Rorschach
Testing en 1983.
EBAUCHE
Si une année peut faire figure
de tournant dans l'histoire des Cocteau Twins, c'est bien 1983 Le
groupe a survécu à sa première crise avec le
départ de Will Heggie. Il a même confirmé tous
les espoirs placés en lui. Et, va, quasiment par accident,
retrouver un troisième membre. Simon Raymonde était
presque destiné à devenir musicien : son père,
Ivor était un arrangeur et producteur réputé
des années 60, ayant entre autres collaboré, pour autant
de succès, avec les Walker Brothers et Dusty Springfield. Tout
comme Liz et Robin, Simon ne s'est pas remis de la déflagration
punk. Au tout début des années 80, il est bassiste au
sein de browning Craze formation signée sur SituationTwo une
division de Beggars Banquet, la même structure qui a aidé
Ivo à lancer 4 AD. "La première fois que j'ai vu
Liz et Robin, c'est le jour où ils ont apporté leur
maquette. Je travaillais à la boutique de disques gars Banquet,
qui se trouvait à la même adresse que les labels. Comme
ils étaient venus tôt et que personne n'était
encore arrivé, je leur ai proposé de me laisser la cassette
pour que je la transmette. Sincèrement, je n'étais pas
trop de Garlands... Mais j'ai vu le groupe sur scène à
Londres, avec les Smiths crois, et je l'avais trouvé plus intéressant,
plus puissant et moins unidimensionnel. En revanche, Head Over Heels
m'avait impressionné. Je crois que l'on peut entendre dans
ces chansons q'elles sont l'oeuvre de deux personnes amoureuses"
A Force de se rendre aux concerts - en trio puis en duo - des Cocteau
Twins Simon sympathise avec Liz et Robin. Un jour, â la toute
fin de l'année 83, alors qu'il travaille à mi?temps
dans petit studio de Camden il propose au couple de profiter de l'absence
du patron pour venir enregistrer. "En fait, tout est parti d'un
malentendu", se souvient Raymonde. "Quand ils sont arrivés,
je leur ai demandé ce qu'ils désiraient faire exactement...
Robin m'a regardé, surpris : "Comment, On croyait que
tu voulais composer des morceaux avec nous !" Liz est partie
faire des courses et nous nous sommes mis à travailler. Quand
elle est revenue dans l'après-midi, nous avions achevé
un morceau, qui est devenu Millimillenary (noir: réalisé
sur un flexi offert avec un numéro du NME puis inclus sur la
compilation The Pink Opaque). Elle a trouvé que c'était
la plus belle chanson qu'elle avait jamais entendue... Une semaine
après, Robin m'a appelé pour me demander si je voulais
les rejoindre. J'ai laissé tomber browning Craze J'ai toujours
été joueur, je fais les choses de façon impulsive.
J'aime suivre mon instinct. Parfois, je commets des erreurs, mais
là, c'est sans doute la meilleure décision que j'aie
jamais prise..."Simon rejoint le couple en Écosse et enregistre
deux titres en une semaine, dont The Spangle Maker que l'on retrouve
sur la première production de la nouvelle formation, le maxi
pearly Drewdrops Drops, réalisé au printemps 84. Sans
être encore déterminante, l'arrivée de Raymonde
se fait déjà sentir : le son se veut plus ample, l'atmosphère,
plus calme, les arrangements, plus chatoyants. Cette fois, le succès
est tel que le disque franchit les portes du sacro-saint Top 30 des
hits parades nationaux et le groupe se voit invité à
la célèbre émission Top of the Pops. Mais il
décline l'offre..
"On aurait paru complètement
stupide" est la seule explication valable avancée encore
aujourd'hui par Simon. Ce refus poli mais ferme n'empêche pas
l'album treasure de triompher. Le trio pousse encore plus loin le
parti pris artistique amorcé sur le single précédent.
Baigné par un halo lumineux, le disque respire la sérénité.
De nouveaux arrangements sont venus enrichir l'idiome musical des
Cocteau Twins : guitares acoustiques, piano et cordes forment désormais
un écrin parfait pour le chant de Liz Fraser, qui n'oublie
jamais de mettre sa technique au service de l'émotion, et donnent
l'impression à l'auditeur de vivre un rêve éveillé.
"Simon proposait des choses auxquelles je n'aurai jamais pensé.
je suis un peu auto?complaisant et il m'a empêché de
me reposer sur mes lauriers", avoue Guthrie. Le journaliste Steve
Sutherland n'hésite pas à conclure sa chronique pour
l'hebdomadaire Melody Maker par cette phrase : "Ce groupe est
sûrement la voix de Dieu". Encensé par les critiques,
plébiscité par le public (dans le référendum
du NME, treasure est désigné album de l'année,
et Liz Fraser est élue meilleure chanteuse, une distinction
qu'elle recevra souvent dans les années à venir), ce
disque ne figure pourtant pas parmi les favoris du trio. "C'est
la première fois que nous nous retrouvions en studio pour un
certain temps", explique Raymonde. "Nous nous appréciions,
mais nous ne nous connaissions pas si bien que ça... En fait,
nous avons tout réalisé en studio, même l'écriture.
Nous n'avions strictement rien. On ne savait pas comment ça
allait fonctionner vraiment entre nous... Bien sûr, j'étais
le bassiste, mais j'avais aussi d'autres envies. je crois que Treasure
est finalement un disque avec des idées très intéressantes
mais qui restent â l'état d'ébauches. C'est peut-être
aussi pour cela qu'il sonne de manière si différente.
je le vois un peu comme un heureux accident..."
Sans connaître le succès
massif de certains de ses contemporains avec lesquels ils ont été,
peu ou prou, comparés à leurs débuts The Cure,
Siouxsie les Cocteau Twins peuvent compter sur un public fidèle,
qui guette chaque sortie avec impatience. Il ne sera pas déçu
puisqu'en l'espace d'une année, 1985, le groupe réalise
trois Ep's Aikea-guinea et le tandem tiny Dynamine/Echoes in Shollow
Boy. Sur le premier, les vagues de guitares entrent en collision avec
des cascades de basses et le trio donne naissance à ce que
l'on appellera plus tard le rock océanique, fièrement
représenté par des groupes comme AR kane (que Guthrie
produira) ou Moose (oùl'on retrouvera l'ingénieur du
son des Cocteau, Lincoln fong et Liz Fraser). Pour Guthrie, la chanson
titre n'est ni plus ni moins l'une des meilleures qu'il ait jamais
composée. Avec les deux singles suivants, le groupe explore
cette fois un territoire plus abstrait, qui provoque l'étourdissante
sensation d'une continuelle apesanteur." je ne nous considère
pas comme des songwriters dans le sens traditionnel du terme. Pour
moi, les songwriters sont des gens qui s'assoient avec une guitare
acoustique ou à un piano, et cherchent méthodiquement
les bons accords. Nous ne travaillons pas ainsi. En général,
on laisse tourner le magnéto, et au bout de dix minutes, on
obtient quelque chose. Ensuite, Liz écoute et chante. Ce n'est
pas du songwriting, c'est de la musique ", explique Robin aux
lecteurs de Jamming. Les Cocteau Twins sont sur tous les fronts. Ils
partent pour la première fois au Japon où ils provoquent
des crises d'hystérie. Robin et Liz multiplient les collaborations,
notamment avec deux de leurs groupes favoris, leurs compagnons de
label Dif Juz et une fornation inclassable menée par un fantasque
leader nommé Lawrence, Felt Je crois qu'à cette époque
je me familiarisais avec la production en travaillant sur les disques
des autres... (Sourire.) Plus sérieusement, j'ai beaucoup appris
aucontact de tous les gens avec lesquels j'ai travaillé. Déjà
â cette époque, j'avais des repères et je m'y
tenais... Mais je n'ai jamais prétendu avoir toutes les réponses.
Quand des artistes me demandaient de obtenir". Le couple a également
commencé à enregistrer, seul, une collection de chansons
qu'il veut acoustiques et dépouillées, alors que Simon
planche sur la suite des aventures de This Mortal Coil couronnées
de succès avec la sortie en 1984 d'un premier Lp baptisé
It'll End In Tears Et, pour fêter la conclusion d'un contrat
fructueux aux États-Unis, l'année s'achève sur
la sortie d'une compilation réservée au marché
outre-Atlantique (mais réalisée en Angleterre dés
le début de l'année suivante), The Pink Opaque. Cette
débauche d'énergie va porter ses fruits, mais va quelque
peu déstabiliser un public qui ne comprend plus bien qui forme
les Cocteau Twins. Car la sortie du très beau et minimal minimaliste
Vïctorialand - sans Simon Raymonde, donc, mais avec la participation
d'un membre de Dif juz Richard Thomas - porte bien le nom du groupe.
"I1 a fallu du temps à certains pour comprendre que nous
étions trois. C'est vrai que mon investissement dans This Mortal
Coil pour Filigree And Shadow et la sortie de Victorialand n'ont pas
facilité les choses. Mais Robin et Liz, ne voulaient pas réaliser
ce disque sous l'identité Cocteau Twins. C'est 4AD qui a insisté.
Ils m'ont demandé ce que j'en pensais et je leur ai sincèrement
répondu que ça ne me posait aucun problème. Bien
sûr, je trouvais parfois irritant que toute l'attention ne se
porte que sur eux, moule comprenais. fis formaient un couple et la
presse avait commencé d s'intéresser de prés
â eux â l'époque de Head Over Heels. De toute façon
c'était une situation étrange. Ce n'est pas facile d'être
avec un couple, de partager ses problèmes, ses joies, sa vie
intime en quelque sorte. En fait, par rapport à la presse,
ce qui m'énervait le plus, c'est lorsque je participais â
une interview, en racontant en plus des choses intéressantes,
qu'on ne retrouvait dans l'article que les déclarations de
Liz et Robin ! Mais bon, ça ne m'a jamais fait perdre le sommeil
non plus. Je ne suis pas du genre à taper du poing sur la table
pour attirer l'attention". Réalisé en avril 86,
Victorialand tonnait un succès étonnant et parvient
jusqu'à la dixième place des charts soit la meilleure
position jamais obtenue par un disque siglé Cocteau Twins.
Et si, en toute logique, le trio est à nouveau réuni
pour le single Love's Easy Tears, la sortie suivante plonge à
nouveau les fans dans la plus grande des perplexités : intitulé
The moon & The Mélodies, l'album est crédité
Harold budd, Elizabeth Fraser, Robin Guthrie, Simon Raymonde. "Nous
n'avons jamais voulu que ce disque soit considéré comme
un album des Cocteau Twins... En fait, cette collaboration devait
illustrer un documentaire, qui n'a pu se faire faute de moyens suffisants.
Comme nous trouvions les compositions vraiment excellentes, nous avons
décidé de les regrouper sur un album". Forte de
quatre instrumentaux et de quatre morceaux chantés, cette tenure
décline une atmosphère cotonneuse et surréaliste,
parfait mariage entre l'approche outrageusement ambient développée
par budd et les voyages oniriques et sonores peints d'ordinaire par
le trio.