IMPOSSIBLE
Pour les Cocteau Twins, il est alors temps
de faire le point. Depuis l'arrivée de Simon Raymonde, ils
ont multiplié sorties et collaborations. Ils ont surtout un
chantier à achever qui leur tient particulièrement à
coeur : l'aménagement de leur propre studio dans la capitale
anglaise. Lors de l'année 87 - et même si Robin continue
de produire d'autres artistes -, le seul témoignage de leur
créativité s'intitule Crushed, un inédit que
l'on trouve sur la très belle au propre comme au figuré,
compilation 4AD baptisée Lonely is An eyesore La sortie de
Blue Bell Knoll l'année suivante n'en aura que plus de retentissements.
"C'est le premier album où j'ai pensé : "C'est
vraiment fantastique, confesse aujourd'hui Raymonde, les yeux encore
pétillants. " Il est évident que le fait de pouvoir
disposer de notre propre studio a énormément influencé
la réussite de l'enregistrement. Nous étions complètement
isolés, dans notre monde, en vase clos. On essayait plein de
choses, on expérimentait sur !es sons, les arrangements : on
utilisait plusieurs pistes pour les cordes, le piano, les guitares
douze cordes. Robin et moi étions sur la même longueur
d'onde. On consommait beaucoup de drogues... Beaucoup. Si le ne devais
choisir qu'un album, ce serait peut-être celui-ci. Pour mot,
il marque le départ de l'aventure. C'est d'ailleurs pour cela
que je regrette vraiment que le morceau Blue Bell Knoll ne figure
pas sur la compilation... Liz est au sommet de son art sur ce disque.
Elle s'est complètement libérée, elle se moquait
de savoir ce que la presse allait bien pouvoir écrire sur ses
textes ou ses non-textes. Elle a juste cherché à faire
passer des émotions et elle a décidé pour cela
d'aller jusqu'au bout de ce langage phonétique. Lorsque nous
avons fini les musiques, il y avait déjà tellement d'arrangements,
de mélodies, que nous nous demandions où elle pourrait
bien placer sa voix, ce qu'elle allait pouvoir faire. Pour moi, il
n'y avait plus de place... Et elle a trouvé des choses extraordinaires.
Je suis aussi très fier que ce disque ait connu un tel succès,
sans que nous ne fassions de promotion... Pas de vidéo, pas
de tournée, à peine un single. Et nous avons quand même
vendu plus cent mille exemplaires en Angleterre, ce qui à l'époque
était un chiffre assez impressionnant pour un groupe sur un
label indépendant. Aujourd'hui, à part Radiohead bien
évidemment, je crois que c'est impossible à réaliser".
Assaut musical sublime, avec des chansons
aux structures plus traditionnelles, ce premier véritable album
du groupe depuis quatre ans est en tout point fantastique, de l'opulence
des arrangements célestes aux mélopées ensorceleuses
de Fraser. Alors que son label réussissait avec brio une étonnante
reconversion artistique - en signant coup sur coup deux groupes américains
de Boston, les Throwing Muses et les pixies -, le trio n'en restait
pas moins le fer de lance d'une structure quelque peu envahissante.
Aussi envahissante que les drogues que n'avait de cesse d'ingurgiter
Robin Guthrie. C'est dans ce climat quelque peu délétère
que le groupe tente de donner une suite à son chef-d' d'oeuvre
Influencé par la grossesse de Liz Fraser - qui donne ra donc
naissance à la petite Lucy Belle - et en partie enregistré
dans les nouveaux studios du groupe - September Sound, superbe lieu
niché à Twickenham au bord de la Tamise -, heaven Or
Las Vegas dévoile pourtant un groupe serein. En particulier
sa chanteuse, qui offre des textes un rien plus compréhensibles.
Dans la suite logique de son prédécesseur, cet album
explore également une veine plus "commerciale", avec
des mélodies que l'on se risque même à siffloter,
plus pop, même si la mélancolie se présente à
nouveau sous ses plus beaux atours.
Grande nouvelle, les Cocteau Twins se
sont décidés à repartir sur les routes, dans
une formation complétée par deux guitaristes, Mitsuo
Tate et Ben Blakeman. " Etre sur scène et jouer devant
un public qui est venu te voir et t'écouter, c'est l'une des
sensations les plus incroyables que je connaisse", explique Simon
Raymonde. "C'est une expérience extraordinaire. Ce que
je regrette, c'est de ne pas avoir apprécié cette chance
à sa juste valeur pendant des années. Parce que j'étais
trop nerveux, je me posais trop de questions : `Vais je faire des
erreurs, Liz va t'elle se sentir bien, que va t'il se passer dans
les loges, qui va s'énerver le premier. À partir de
Four Calendar Café, j'ai décidé d'être
plus égoïste : "Si vous vous voulez engueuler, je
m'en fous, ça ne m'empêchera pas de passer un bon moment".
J'ai compris que ce n'était pas à moi de contrôler
Liz et Robin... En plus, avec l'arrivée d'un batteur, les concerts
étaient forcément plus vivants, moins rigides. Avec
les rythmiques sur bande, tu ne laisses pas trop de place à
l'imagination. Pour moi, la dernière tournée, à
l'occasion de Milk & Kisses en 96 restera de loin la meilleure.
Même si nous n'avons jamais été aussi flexibles
que je l'aurais souhaité... il y avait ce passage dub avec
Mark Clifford qui nous samplait en direct, ces moments plus acoustiques,
où j'étais au piano. Et puis, au lieu de simplement
promouvoir le dernier disque, nous avions décidé de
piocher dans tout notre répertoire. Après tout, le public,
quand il vient te voir, espère surtout entendre ses morceaux
favoris, il n'a pas envie de supporter la quasi intégralité
d'un nouvel album qu'il vient d'acquérir et connaît à
peine. Avec l'expérience, tu t'aperçois que c'est une
attitude très nuire que de penser : J'ai plein de nouveaux
titres, pourquoi devrais-je me fatiguer à jouer des vieux morceaux
qui m'insupportent...' Malheureusement, la tournée n'a duré
qu'un mois°.
CUR
Lorsqu'un lien trop fort unit un groupe
et un label, cela peut devenir dangereux
Je crois que 4AD a
longtemps tenté d'assurer sa promotion à travers les
seuls Cocteau Twins", assène Robin Guthrie. "Non
pas que ça nous gênait en général",
reconnaît Simon, "mais c'est vrai qu'à un moment,
la situation nous a énervés. Nous en avions surtout
marre de ces interviews où les seules questions que l'on nous
posait se résumaient : `Vous vous voyez souvent avec les Dead
Can Dance'. À la fin, on parlait plus de 4AD que de notre musique".
Pourtant, en 1991, alors que le groupe s'apprête à partir
sur la route pour défendre Heaven Or Las Vegas,